Let my people go surfing

Laurent Michelet
5 min readJan 31, 2024

“Can Laurent stop saying he goes surfing and play padel everyday when others work long working hours and are paid 3 times less?”

C’est la question qui a été posé anonymement lors d’une session d’Ask Me Anything au CEO chez Matera. Je n’avais pas encore lu “Let my people go surfing”, la biographie d’Yvon Chouinard, l‘inspirant fondateur de Patagonia, défenseur d’une vie libre et qui se décrit comme businessman réticent. Je n’ai donc pas vraiment su quoi répondre sur le moment, et j’ai eu le temps d’y réfléchir.

J’ai déménagé à Biarritz en septembre 2021, avec ma femme et mon premier fils. J’ai toujours adoré les villes au bord de la mer. Elle m’apporte un profond apaisement. Et pouvoir faire du sport facilement était aussi un critère de choix. En gros, un besoin d’équilibre personnel et de reconnection, permis par une politique de remote ouverte chez Matera.

Depuis mon entrée dans la vie professionnelle en 2009, j’ai souffert pendant des années d’une grande anxiété de fond assez insidieuse, accentué par des métiers à forte pression (banque d’affaires et startups). L’un n’est sans doute pas indépendant de l’autre, puisque le travail à haute intensité peut aussi servir d’antidote : puisque je ne suis pas apaisé avec moi-même (anxiété), le travail en lui-même et l’argent qui en découlent servent de compensation. On comble le vide comme on peut. Un cercle vicieux qui m’a amené à toujours vouloir en faire plus, à mettre tous mes oeufs dans le même panier en m’investissant à 150% dans mon travail, à rarement y trouver satisfaction, à courir après le temps, à être fatigué en permanence, et à me déconnecter de mes besoins fondamentaux (et donc des autres par effet de ricochet).

Ma réflexion a donc été la suivante : je dois commencer par être libre et apaisé, essayer d’en faire un état par défaut au quotidien, et le reste suivra. On a donc quitté Paris pour s’installer sur la côte basque.

Sur le papier, le télétravail au bord de la mer est un idéal mais avec 2 ans de retour d’expérience, je dirais que c’est partiellement vrai :

  • Oui le contact quotidien avec la nature, le sport facilement accessible, le calme, la facilité à se déplacer, les commerces non saturés, les gens épanouis, etc. changent radicalement le cadre de vie et permettent bcp plus facilement d’accéder à une vie plus véritable et à se reconnecter à soi.
  • Mais ce n’est pas un remède miracle. Vivre au bord de la mer pour enchaîner les calls, les visios et courir après le temps ça revient à peu près au même que changer son fond d’écran. On vit son agenda comme une contrainte et on se désynchronise du rythme local. Le livre 4000 weeks — Time Management for Mortals d’Oliver Burkeman a pour moi été une révélation. Vouloir dominer le temps est impossible, quelque soit l’optimisation de son organisation personnelle, car il est de toute façon fini et le monde infini. Trop de choses à découvrir pour un seul homme. L’enjeu est donc surtout de bien utiliser son temps si précieux. Autrement dit, tant qu’on court après le temps pour pouvoir le maîtriser et mettre le plus de choses dedans, on est condamnés à une vie de stress et d’insatisfaction. Le mal du siècle, l’histoire du progrès des 50 dernières années, plus de richesses matérielles et un plus grand sentiment de déclassement.
Un des meilleurs livres que j’ai jamais lus

Bien que la question sur mes loisirs ait été durement critiquée, elle est intéressante car révélatrice d’une forme de culpabilité qu’on s’inflige dans notre rapport au travail. Parmi les idées reçues encore ancrées dans l’inconscient collectif (et dans mon inconscient) :

  • La performance est égale au temps de travail effectif. Quantité = qualité
  • Le temps libre est contre-productif
  • Le travail est un sacrifice. Pour être productif, il faut se faire du mal.
Grégory Alldritt, International du XV de France

“Pour moi le plus important, au delà du corps, c’est la santé mentale. C’est cela qui rend performant, être heureux, se faire plaisir. Il vaut mieux un joueur pas au top de sa forme mais bien dans sa tête que l’inverse.”

Pourquoi si un sportif de haut niveau arrive à cette conclusion, très peu d’entreprises arrivent à appliquer cette règle et continuent de pousser à des journées entières passées au bureau avec des agendas saturées, croyant que c’est l’unique recette de la performance ?

Pour relever les défis qui nous attendent, pour être une société forte et solidaire, nous avons plus que jamais besoin de créativité, de sérénité, d’ouverture d’esprit, d’optimisme et de courage. Seul un cadre de vie sain et équilibré, du sport et du temps libre, peuvent nous permettre d’avoir ce bon état d’esprit.

« Si tu as le temps, médite 20 minutes par jour. Si tu n’as pas le temps, médite 40 minutes. » Pensée zen

C’est autant vrai dans le sport, qu’au niveau de l’entreprise et au niveau sociétal. Quand on enchaîne les calls et les réunions, en réagissant à des messages instantanés dans un sentiment d’urgence permanent, on peut devenir une vache à lait mais il nous manquera le recul nécessaire pour voir les problèmes sous un angle nouveau et être réellement disponible et à l’écoute. Et on crée une génération burn out, surchargée, prise dans une pseudo-urgence quotidienne et incapable de trouver des solutions à son propre bonheur et à sa propre survie.

Il est dommage que certains croient encore que le monde se porterait mieux en allongeant le temps de travail, dans des villes bruyantes, des bureaux agitées et déconnectées du vivant.

Sortons du productivisme et offrons nous du temps. On sera d’autant plus riches, au niveau personnel et collectif.

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Laurent Michelet

CFO @Matera (Residential Property Management) / 10y+ XP in M&A and tech companies